La désaturation (Par Romain G. Le Zident)

Quittons momentanément l’oreille sur laquelle nous reviendrons ultérieurement et parlons de désaturation et d’accident de désaturation à la suite d’un accident certain et d’un autre possible survenus dans notre club avec deux abords très différents. Bien entendu, cette analyse d’accidents n’a pour but que de faire réfléchir à la bonne attitude et n’a aucune velléité de critique ou de moralisation. 

1/ Cas certain : C’est un plongeur expérimenté qui n’est plus parmi les plus jeunes du club et porteur, comme beaucoup des plus anciens d’entre nous, d’un certain nombre de pathologies, dont une tendinopathie calcifiante d’une épaule, qui réalise une croisière de plongées profondes. Assez sédentaire, il manque d’entraînement physique, nage notamment, et présente un surpoids. Lors de cette croisière plongée, il réalise une plongée à l’air succédant à d’autres plongées saturantes en cours de semaine, sur le Togo, épave de Méditerranée qui repose sur un fond de 68 m. Il n’ira pas à 68 m mais atteint la soixantaine de mètres. Il effectue sa désaturation en suivant scrupuleusement les consignes de son décompressimètre durci avec des Gradients Factors pénalisants de 80/80 et, plongeur nitrox avancé, effectue son dernier palier à l’oxygène. Après un intervalle de surface correct, il s’autorise une plongée sur l’Espingole qui repose à 39 m de fond, toujours à l’air, en respectant les données du décompressimètre avec une fin de plongée avec palier à l’air. Plongées carrées, dans le strict respect des procédures de désaturation. 

À la sortie de l’eau, il ressent une douleur à l’épaule gauche, celle qui n’est pas atteinte de tendinopathie. Il met cette douleur scapulaire en rapport avec un faux mouvement en espérant que ce n’est pas une tendinopathie qui débute sur son épaule jusque-là saine… Il ne prévient pas son binôme, ni le DP, et ne demande pas d’oxygène. D’ailleurs, la douleur finit par s’estomper… 

Le soir au dîner, il est fatigué et part se coucher tôt, il est vrai que ces plongées profondes sont fatigantes… 

Malheureusement, dans la nuit, la douleur se réveille et empire, mais il ne prévient personne du groupe par crainte de déranger et pensant que « ça va passer »… mais ça ne passe pas ! Il finit par en parler à ses amis qui me téléphonent pour un avis. Le diagnostic de Bends est assez évident et je le dirige vers le caisson hyperbare de Toulon où il est immédiatement pris en charge par une séance d’oxygénothérapie hyperbare à 2,8 ATA. 

Suivi de 23 séances de caisson de consolidation 

ANALYSE DE L’ACCIDENT 

  • Il s’agit bien d’un accident de plongée et non d’un accident en plongée (accident non lié à la pression Un certain nombre de facteurs favorisants analysables sont identifiés.)
  • Des plongées profondes réalisées avec un décompressimètre “durci” par Gradient Factor mais peut-être pas assez compte tenu des facteurs individuels ici présents (âge, surpoids, manque d’entraînement, pathologies diverses) 
  • Une semaine de plongées saturantes sans jour de repos bien que la désaturation soit faite à l’O2 à 6 m pour la première plongée, la plus profonde. Un nitrox 32 à 40 m puis 40 à 30 et une remontée avec un nitrox 80 eussent-ils été préférables ? Le cumul des plongées saturantes est un facteur de risque connu, une désaturation au nitrox ou à l’O2 aurait peut-être été préférable
  • L’environnement : profondeur = froid, énorme facteur d’accidents de désaturation. 

 

Les erreurs commises rétrospectivement (c’est toujours plus facile “après”). 

  • Des plongées à risque d’accident de désaturation dans une condition physique non optima 
  • Mais surtout négligence des signes de maladie de décompression. 
  • Pas de signalisation de la douleur sur le bateau au DP donc. 
  • Pas d’O2 en surface. 
  • Pas d’appel des secours (CROSS appel 196). 
  • Pas de signalisation de la recrudescence douloureuse la nuit. 
  • L’ensemble entraînant un grand retard de prise en charge par oxygénothérapie hyperbare.
     

Conclusion de l’analyse et à retenir pour vous : 

  • Signaler tout problème en fin de plongée, même bénin, au DP : La prise en charge précoce est le garant de la guérison sans séquelle.
     
  • Conformément au RIFAP, ne pas hésiter à réclamer l’O2 en surface 15 l/mn et appeler le 196 pour avis et faire boire. S’il ne s’agit pas d’un ADD, le diagnostic sera rectifié à l’hôpital. Attention aux personnes rassurantes, même médecins, s’ils ne sont pas hyperbares ou fédéraux (un légiste est aussi médecin mais il s’occupera de vous plus tard !).
  • La survenue d’une aggravation de la douleur dans les heures qui suivent doit alerter sur un ADD 
  • Une séance d’oxygénothérapie permet de visiter un caisson et n’a jamais fait de mal ! 
  • La situation décrite est un grand classique du plongeur qui a effectué une plongée conforme à son décompressimètre et à qui ce genre d’accident ne peut pas arriver et qui craint de déranger et de bouleverser le planning de plongées de ses co-équipiers.
     
  • Le rôle du binôme est donc essentiel et un plongeur qui a un Bend se comporte rarement normalement, son comportement est souvent modifié : il se tient l’endroit douloureux, se masse, se comprime (la compression soulage la douleur), il est souvent fatigué, en retrait et ne partage pas les joies de la plongée effectuée. Ces signes doivent attirer l’attention du binôme et du DP. 

En sus des commentaires ci-dessus, remarquons sur un plan plus général que la confiance absolue à un décompressimètre (cet ami qui vous veut du bien) est une erreur. Il n’a pas de cerveau, ne connaît rien de vous et a été conçu selon des algorithmes prévus pour des plongeurs “idéaux”, ce que vous n’êtes peut-être pas ou plus. Et la modification des Gradient Factors effectuée par le plongeur n’est pas toujours suffisante pour se protéger du risque d’ADD. 

Qu’est-ce que le BEND ? 

Le BEND : c’est le plus fréquent des accidents de décompression en plongée. C’est une douleur autour ou dans une articulation, qui peut être due à la formation de bulles au niveau des tendons, des muscles, de la synoviale et de l’os. Il fait partie des ADD de type 1. 

C’est dans ce dernier cas que l’évolution vers l’ostéonécrose dysbarique est à redouter. La localisation est très diverse, elle affecte principalement les épaules, coude, poignet, hanche, genoux, cheville, et toutes autres localisations. 

Le seul traitement est la recompression thérapeutique en caisson hyperbare. 

NB : le terme bend vient du verbe anglais “to bend” qui signifie courber car au XIXe siècle, les travailleurs sous-marins souffrant de séquelles douloureuses de la maladie de décompression étaient connus pour marcher courbés. 

 

2/ À l’inverse, cas possible bien géré. 

Une plongeuse effectue des plongées non saturantes en croisière dont d’ailleurs elle n’effectue pas toutes les plongées. Toutes les plongées respectent les instructions du décompressimètre. Et se font sans palier obligatoire avec palier protocolaire (dit de “sécurité”). La plongeuse est jeune et en bonne santé, aucun facteur de risque individuel ou environnemental n’est retrouvé (mer chaude) et bonnes conditions de plongée. Les 24 h de délai avant de prendre l’avion sont respectées. 

48 h après l’atterrissage, la plongeuse est prise de vertiges vrais. Elle contacte le DP qui me contacte pour avis. 

Les vertiges sont certes un signe d’ADD vestibulaire mais ces accidents de type 2 surviennent en général précocement, parfois lors de la remontée ou sur le bateau. 50 % dans les 30 min qui suivent la plongée, 35 % entre 30 min et 1 h, 10 % entre 1 h et 3 h.  

Au total, 85 % apparaissent dans la première heure. Ils représentent 15 à 20 % des ADD. Fréquemment, ils surviennent lors d’une vitesse de remontée trop rapide, d’une erreur dans les procédures de désaturation ou dans les cas dits immérités en raison d’anomalies anatomiques dont la plus connue est le célèbre PFO sur lequel nous reviendrons. 

Le tableau est celui d’une grande crise vertigineuse avec vertiges, nausées, vomissements, impossibilité de marche et à la marche chute du côté de la lésion. 

Ces ADD vestibulaires, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir, sont souvent isolés. Point important, la récupération après recompression est souvent incomplète et en tout cas lente. 

Bref, le cas n’est pas simple… Néanmoins, compte tenu que la recompression thérapeutique n’a jamais tué de plongeur, et bien que le cas soit plus qu’atypique, j’oriente la patiente vers un caisson hyperbare. Les médecins hyperbares sont comme moi, dubitatifs, mais étant donné que la recompression thérapeutique n’a jamais tué de plongeur, après avoir discuté, mis et remis en cause le diagnostic, ils décident finalement de recompresser. Les signes évolueront, lentement, très lentement vers la disparition des signes cliniques. 

La recherche de shunt intra et extra cardiaque par doppler intracrânien avec épreuve de contraste sous Valsalva ne montrera aucun passage de bulle cérébrale. L’examen ORL à la recherche d’une étiologie ORL sera négatif et après 6 mois de sécurité sans plongée, la plongeuse sera autorisée à replonger. On ne saura réellement jamais s’il s’agissait d’un ADD vestibulaire, mais là n’est pas la question ! L’intérêt du cas repose sur la bonne réaction d’appeler, même longtemps après la plongée, le DP pour signaler un problème, la discussion entre médecins hyperbares qui en découle et la mise en œuvre d’un passage au caisson hyperbare au bénéfice du doute.